La Madeleine Proust, une vie : 1939-40 by Sémonin Lola

La Madeleine Proust, une vie : 1939-40 by Sémonin Lola

Auteur:Sémonin, Lola [Sémonin, Lola]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Pygmalion
Publié: 2015-03-11T23:00:00+00:00


LES ALLEMANDS ONT ENVAHI

CE MATIN, À L’AUBE

LA HOLLANDE, LA BELGIQUE ET LE LUXEMBOURG

— Ils ont rappelé les affectés spéciaux du front pour rouvrir les usines, c’est p’têt’ un peu tard. À Montlebon, chez Vermot-Gaud, ça tourne à pleins tubes… C’est l’cas d’le dire ! Y produisent des porte-amorces, des allonges de percuteurs et des fusées. Dans la forge du Bernard, ils fabriquent des becs pour les chalumeaux de l’aviation. Alors pourquoi, moi, j’pourrais pas travailler pour l’effort de guerre dans ma ferblanterie ? Au lieu d’aller à la pêche, j’aimerais mieux remettre en marche mon atelier. Ça fait huit mois qu’il est fermé, je n’sais pas comment j’vais payer mes traites.

On n’avait pas l’habitude de le voir tracassé. Lui qui était toujours au poil, un vrai clown ! Et là, c’était plus le même.

— Heureusement que l’Angèle a des robes de mariée en commande. C’est sûr que la guerre, ça donne du boulot aux couturières. On se marie avant d’se séparer… Le soldat part au front tout content d’avoir une femme qui l’attend à la maison. Quand ils n’ont pas fauté pour l’occasion ! Et la faute, l’Angèle, elle est experte pour la camoufler ! Des pinces par-ci, des plis par-là, et… ni vu ni connu !

Il s’est aperçu que j’écoutais. Il m’a fait un clin d’œil. La moman fronçait les sourcils :

— Faut du tissu pour confectionner des robes !

— Ceux qui ont des sous, ils trouvent toujours tout c’qu’ilsont b’soin. Et celles qui n’ont pas d’sous, elles gardent en haut de l’armoire, dans une boîte en carton, la robe de mariée de leur mère qui peut se vendre ou se découdre. Dis voir, Marie-Louise, la Madeleine, elle pourrait pas v’nir lui donner un coup de main à l’Angèle ? Voilà que ses deux employées sont tombées malades.

Je me suis arrêtée de respirer en espérant qu’elle dirait oui. Aller trois jours à Morteau, même pour débâtir des ourlets toute la journée, c’était comme des vacances. Voir les essayages des femmes chics, feuilleter les catalogues, monter et descendre la grand-rue avec mes cousines et manger de la viande à chaque repas comme si on était dimanche. Une fête !

La moman s’est levée pour gratter dans le fourneau. Et comme elle ne répondait pas, l’oncle a repris :

— On attend une réfugiée alsacienne… Mais toujours rien à l’horizon. Si les Boches entrent en France, les pauvres Alsaciens vont morfler.

— Pourquoi ? j’ai demandé, craignant d’être rabrouée par la moman, qui n’aimait pas qu’on se mêle des discussions entre grandes personnes.

— La première chose qu’ils font, les Prussiens, c’est de reprendre l’Alsace et la Lorraine pour l’acier et l’charbon. Ces Alsaciens, ils doivent en avoir ras l’bol de changer d’mains ! À la guerre de 70, ils sont devenus allemands, à la guerre de 14, on les a repris, les r’voilà français. Ça doit les rendre brindezingues ! À chaque coup, changer de langue, de réglementations, de lois, pi tout l’commerce ! Y en a beaucoup qu’ont été évacués dans le centre de la France. Ils en ont même accueilli chez moi en Corrèze ! Pourtant, c’est un pays de crève-la-faim, là-bas.



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